J’ai avalé mon histoire comme j’ai mangé la tienne, Poète, Sculpteur ou Peintre d’éternité au présent… Quel repas, dis-tu, avons-nous partagé ? À quand, et avec qui , le prochain ? On verra... On lira ... | Marie-Thérèse PEYRIN - Janvier 2015
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ETATS DES YEUX | Janvier 2024 | Ajustements d'images | LES HEURES PLEINES | Semaine 04

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Semaine 4 Année XXIIII -  Mercredi  24 Janvier

La mort  la vie tout se mélange depuis ce début d'année et l'écriture pourtant vivace se retrouve coincée comme cette famille de violettes au seuil d'un édifice religieux. Quelque chose d'impérieux aspire à la lumière que tout seuil embrigadé de bois et de clous cherche à confisquer. C'est bien dehors que tout se passe, dans l'air des rencontres, même posthumes. Les naissances sont des appels d'air et de courage. 

 

"La mort arrive la vie s'en va" disait J. à ses proches les derniers temps.

Roger Dextre n'a pas eu le temps de dire grand chose, un courant d'air l'a soulevé.

Deux bébés sont venus toquer à nos oreilles : une fille et un garçon.

Pour un début d'année

c'est plutôt contrasté.

 

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J. au balcon - auréolée de sa Bignone Ardèche

 

    Ma chère J., qui n’est pas que la mienne... Curieusement, nous ne nous sommes jamais écrit avant... C’est la troisième et dernière lettre que je t’envoie, pour la première que tu n’as pas reçue, et dans  ma confusion du moment, j’avais mis le numéro de rue de notre ancienne adresse parentale, la lettre m’est revenue (un mois plus tard...) Je t’en ai écrit une deuxième... Entre-temps ta santé s’est beaucoup dégradée... Tout est allé trop vite...Un an après ton cher Jo tu as pris la même route vers le lieu mystérieux connu de vous seuls, et où tu voulais le rejoindre. Peut-être la grotte où il se cachait pendant l'occupation allemande dans la garrigue profonde ? Ta maladie invasive et douloureuse t’a donné un furieux élan et nous voici tous ensemble, bras ballants et profondément chagriné.e.s par ton grand départ pourtant annoncé.

Qu’as-tu laissé derrière toi de nos tendres souvenirs d’enfance ? Nous n’avions pas fini d’en faire l’inventaire, tu le sais. Tu aimais en parler, et j’aurais aimé pouvoir le faire encore en ta présence, dans ton salon, de vive voix.

Tu fais partie de nos vies depuis la naissance de notre petit frère P., et même avant, lui qui est devenu le vôtre d'enfant, dès Février 1966, j’avais 9 ans... Tu as épaulé et soulagé la vie de notre mère comme personne avant toi. On vous appelait  « travailleuses familiales » et vous vous êtes succédé chez nous pour aider notre mère épuisée. Tu avais compris sa détresse dans cette famille trop nombreuse où elle perdait courage, moral et santé. Grâce à toi, elle a pu reprendre des forces et vos relations sont devenues très solidaires, amicales et complices jusqu'à sa mort en 2003.

Vous vous compreniez sans avoir besoin de parler, vos conciliabules étaient permanents et tu as pris une place de plus en plus grande dans son cœur. Lorsque je vous regardais, j’avais l’impression de voir deux grandes personnes presque soeurs plutôt graves et très protectrices. Je ne t’ai jamais entendu crier , ni gronder, tu cherchais toujours à comprendre, à apaiser, tu aimais t’occuper de nous malgré notre désordre, nos chamailleries et nos bêtises.  Tu m’avais appris à débusquer la "poussière verticale "sur les meubles cirés, je n’avais pas compris jusque-là  que ça pouvait exister... Tu m’as raconté une kyrielle de souvenirs dont je ne me rappelais plus. Tu me disais que je me réfugiais dans mon lit pour découper et écrire sur plein de petits papiers que tu ramassais par terre, ça te donnait du boulot supplémentaire mais ça te faisait rire aussi. Tu savais rendre "nickel" une maison à marmaille échevelée . Les trois premiers  frangins étaient turbulents et pas faciles à calmer lorsqu’ils jouaient ensemble surtout M. . La petite sœur donnait aussi beaucoup de souci, elle grandissait mal et elle accaparait beaucoup l’attention maternelle. Notre père travaillait énormément, il était de moins en moins disponible, il était débordé lui aussi.

    Tu nous a tous gardés pendant plusieurs jours à la mort du grand-père maternel en Mai 1967 et ce fut le début de ton attachement  profond  au dernier-né qui a trouvé dans tes bras, et dans ceux de Jo les soins et l’amour supplémentaires que vous aviez en réserve. Vous êtes devenus ses parents de secours et nous trouvions cela naturel. Il dormait à moitié chez nous, à moitié chez vous. Vous êtes devenus les grands-parents de ses propres enfants N. et M.

Tu nous as tricoté des montagnes de pulls, d’écharpes et de bonnets. Tu tricotais devant la télévision sans regarder tes aiguilles. Cela nous fascinait. Tu t'es arrêtée quand tes yeux n'ont plus voulu et que tes rhumatismes ont pris d'assaut tes articulations. Tu étais toujours en mouvement et très ritualisée. Tu aimais les voyages et vous en avez fait plusieurs à la retraite. Vous étiez économes mais curieux de tout. Votre lune de miel s'est répétée plusieurs fois. C'était votre meilleur sujet de conversation aux retours, sur le canapé du salon.

Plus tard, mais tu ne travaillais plus chez nous, nous avons partagé le temps des vendanges, et c’est l’un de mes souvenirs ardéchois les plus joyeux. Un jour tu m’avais prêté ton solex pour rejoindre l’équipe. J’aimais les odeurs et les couleurs de la vigne, la bienveillance des adultes auprès des plus jeunes qu’ils initiaient au travail avec des blagues perpétuelles et bon enfant. Nous étions poissés de rires et de jus dégoulinant. L’usage du sécateur semblait nous donner du galon dans la confiance. Nous étions fiers. Un boulot sérieux et rémunéré. Mon premier argent de poche je crois. Vous aimiez nous voir grandir. Mes frangins faisaient les marchés mais ils étaient partants eux-aussi, c’est flou dans ma tête sauf nous tous parmi vous sous le soleil de septembre et le beau visage triangulaire de Jo  partageur de melons aux gamins du quartier l'été sur la placette. Ce devaient être des jeudis ou des samedis après-midi.

Dans nos dernières conversations car mes visites étaient systématiques à la fin, nous parlions du passé, de la guerre et de vos trajectoires de vie. Deux orphelins de mère qui ont trouvé à s'entendre et à se consoler mutuellement. Votre douceur et votre sens de l'accueil ont été très précieux.

Toi et Jo avez été de toutes les fêtes importantes et figurez sur les photos dans toutes les tablées. La nostalgie me serre le cœur aujourd’hui car je ne peux te rendre et vous rendre tout ce que vous avez donné sans compter.

Tes nièces ont pour tâche d’assurer tes obsèques et elles ont ta consigne de ne vouloir ni fleurs ni discours ce vendredi 26 janvier 2024 au crématorium, après une semaine d’attente dans le froid... Je n’ai pas pu te dire Adieu et ça me chagrine profondément. Mais mon cœur est plein de nos derniers échanges.

Nous respectons tes volontés , c’est pourquoi je passe par l’écrit et je glisserai cette lettre dans ton cercueil ; non sans l’avoir partagée pour montrer ce qu’est la valeur de quelqu’un comme toi qu’on dit « invisible » mais qui est pour nous ineffaçable.

Je t’aime Jeannette toute lovée désormais contre le corps immatériel de Jo. Vous avez été nos héros du quotidien. Votre vie commune a été un modèle et une leçon d’amour inoubliable. 

Bon voyage à tous deux. 

Vous pouvez goûter désormais la joie des retrouvailles éternelles.

Nous, on vous regarde pour toujours.

J'attends votre carte postale fleurie au creux de ma mémoire en larmes.

 

Marie-Thé.

 

 


ETATS DES YEUX | Janvier 2024 | Ajustements d'images | LES HEURES PLEINES | Semaine 01

CETTE NOTE EST MON 106 ème AJUSTEMENT D'IMAGE (s)

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EX VOTO GREG

Semaine 1  Année XXIIII -  Jeudi 4 Janvier

 

L'entame des jours : chaque jour qui déborde de choses vécues qui s'accumulent et se bousculent.  Une fois les circonstances dépassées, c'est la hauteur des vagues d'émotion qui reste à contempler. Tout se passe hors les mots jusqu'à ce que je trouve la voix qui convient, la phrase adéquate pour ne pas en faire trop ni pas assez. Je rature facilement mais c'est l'oubli qui efface le mieux ce qui n'est pas contenu. L'écriture est une affaire de contenant et de contenu. L'écriture enfle et perd son souffle en un rien de temps. L'écriture est un tensiomètre avec sa maxima et sa minima. Ces dix derniers jours ont été sans pause pour l'écriture telle que j'aime la pratiquer. L'écriture est un élan qui a ses causes, précises et incisives. Lire les autres me le confirme en permanence.

Qu'est-ce qu'un cadeau filial si bien ciblé,  comme celui-ci : un ex-voto si léger, ou celui-là : un double livre si lourd Varda par Varda  (1954-2019) aux éditions de la Martinière, dans ma vie de mère ? Je ne vais pas répondre ici, ce serait trop long. Je garde l'émotion comme un parfum sacré.

 

 

VARDA PAR AGNES

Réunir ce bout de famille qu'on a créé par amour est un privilège. Je photographie souvent les présences, les gestes à la sauvette, il me faut garder quelque chose de ces instants de vie même si ceux ou celles qui jettent systématiquement les souvenirs ne comprennent pas ce désir profond. Il ne reste plus beaucoup d'occasions ni d'envie de rassembler les gens qu'on aime. La pandémie nous a sevrés de la promiscuité et ce qui la remplace est peau de chagrin sur des écrans tactiles. On le sait depuis longtemps : l'émotion virtuelle est désincarnée. Retrouver pour les fêtes de fin d'année la chaleur humaine naturelle m'a fait un bien fou. Peu importe la légéreté des propos et la brièveté des contacts. L'essentiel de nos sentiments s'est ancré dans ces retrouvailles complètes. 

 

La tristesse est pourtant là, en filigrane dans mes pensées perpétuelles pour  ma  chère J.qui se meurt dans un décor hospitalier qu'elle a fini par réclamer sans pour autant avoir accepté de protocole oncologique.  Elle ne peut plus manger... Combien de temps va durer son calvaire moral et physique ?  Ne pas pouvoir l'entendre et lui parler est une épreuve de plus. Je n'ose plus lui écrire en sachant que ça ne la sauve pas. J'irai la voir, dès que possible. Sans doute pour lui dire aurevoir et surtout merci... Sa vie et notre enfance villageoise sont intimement liées...

 

20240103_133040[1]Roanne devant le crématorium 3 Janvier 2024

 

La mort soudaine du poète et philosophe humaniste Roger DEXTRE  ce samedi 30 Décembre, a clôturé l'année 2023 de manière cinglante. Qu'est-ce que la mort d'un poète sinon la disparition d'une voix et d'une écriture en "puissance" qui nous manquent déjà ? Le choix d'un rite crématoire nous a rendu les hommages plus  frustrants en raison du timing serré des offiçiants attitrés et de l'exiguïté des locaux. A Roanne hier nous étions pourtant nombreuses et nombreux à entourer cet homme qui a su aimer et être aimé.  J'attends avec impatience l'organisation de l'hommage poétique qui lui a été promis hier, à plus vaste audience par l'Association DANS TOUS LES SENS, et son éditeur principal LA RUMEUR LIBRE.

En attendant je m'immerge dans ses poèmes avec un sentiment de retard devenu bienvenu. Il n'y a de vraie rencontre finalement que dans la lecture silencieuse exonérée des remerciements toujours impudiques. Voici l'un de ses poèmes tiré du recueil  Le jour qui revient, publié en 2021 à la Rumeur libre. A noter qu'un nouveau livre reste à paraître en ce début d'année. Nous l'accueillerons avec tendresse.

 

LAISSER

 

Laisser la nuit

secouer l'ample espace

et ce qui de nos rêves s’échappe.

 

Un rideau

à l’instant soulevé,

retombé sur rien aussitôt.

 

Laisser La nuit

sur le rivage

étale de nos jours

comme dans nos corps

battre les rythmes du cœur

et ceux de la respiration.

 

Ils ne s’adressent en nous

bonjour ni bonsoir,

surgissant , retenus,

dessinant des courants

qui nous amènent et nous emportent.

 

Nous ne savons pas

capables de comprendre

leur naissance, l’étrangeté,

la liberté qu’ils recèlent

aux plis lumineux de leurs sursauts

et des rumeurs qui les accompagnent.

 

Grâce au sommeil

je laisse leurs voix

tenter la pensée,

la devenir.

 

Alors serait le grand calme,

l’apaisement

que vienne insolent à nos pieds

un océan pour nous seuls

à jamais amical.

 

Qu’un vent de signes fugitifs

nous aborde

dans le contrepoint

essoufflé et maladroit

que nous sommes en vérité,

nos joues rouges

comme celles des enfants

et des anges.

 

 

L’inattention nous allège

permet des chantonnements,

nous ne savons

comme ils en viennent

à notre tête, à nos pieds, à notre voix.

 

Si l’immensité ne la casse,

l’œuvre de la nuit, intacte,

dure sans notre part

tout le temps qu’il lui faut.

 

Mon lit

a formé cette croyance

pour conjurer

les cauchemars.

 

 

 

Roger DEXTRE, Le jour qui revient, p.87-89

La rumeur libre 2021